Laffaire des tricots
L'AFFAIRE DES TRICOTS :
UNE MANIFESTATION DU RACISME
UNE ILLUSTRATION DU CONTEXTE
DES ANNÉES 60 EN MARTINIQUE.
L’année 1963 fut comme les autres années de la décennie, marquée par la répression coloniale tous azimuts.
Après les émeutes de décembre 1959 le pouvoir colonial français met en place tous les moyens pour museler les Martiniquais, les intimider, les corrompre, cela se voit par les saisies de journaux, les arrestations, les emprisonnements, les condamnations, la privation de droits civiques et politiques, les révocations, les revirements politiques…
Au début de l’année plusieurs membres de l’OJAM (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste Martiniquaise) ont été arrêtés, emprisonnés puis déportés en France pour y incarcérés et être jugés sous l’inculpation « d’atteinte à la sureté de l’État ».
Dans cette même période le pouvoir français cherche à exiler des fonctionnaires martiniquais parce que communistes, (Armand NICOLAS, Georges MAUVOIS, Walter GUITTEAUD, Guy DUFOND) au prétexte qu’ils seraient « susceptibles de troubler l’ordre public ». D’autres militants comme Marcel MANVILLE, sont interdits de séjour en Martinique, leur pays. Dans le même temps nombre de fonctionnaires français sont nommés en Martinique. Ils sont d’autant plus nombreux que plusieurs pays colonisés par les français sont devenus indépendants, le Maroc et la Tunisie en 1954, plusieurs colonies d’Afrique entre 1958 et 1960 et après la défaite de l’armée française à Dien Bien Phu en 1954, la guerre d’Algérie commencée cette même année, s’est terminée par la victoire du peuple algérien. Ce pays (4 fois plus grand que la France) baptisé département français a en 1962conquis son indépendance et érigé l’État algérien : « République algérienne démocratique et populaire. »
Ces nouveaux venus sont parfois des « pieds noirs » colons français, chassés du Maghreb, ou de jeunes français diplômés souvent des VAT (Volontaire à l’Assistance Technique), qui viennent en « pays conquis » avec très souvent des comportements racistes. C’est ainsi qu’un d’entre eux, professeur de physique chimie au lycée Schœlcher s’est permis de dire dans une classe « donner des professeurs métropolitains aux martiniquais c’est donner de la confiture aux cochons ». Voilà quelque peu l’ambiance de l’époque. En pays conquis tout est permis.
Certains jeunes blancs, fils de gendarmes, de chefs de service des administrations de l’État, de magistrats, de militaires et autres rapatriés d’Algérie se comportent en véritables petits colonialistes racistes. Ils avaient décidé qu’un T-shirt sur lequel il y avait le dessin d’une rose des vents, ne devait pas être porté par les Martiniquaises et Martiniquais, qu’il était réservé aux seuls blancs alors que ce vêtement en blanc ou en noir, était en vente dans des magasins de Fort de France.
Ne pouvant pas empêcher aux martiniquais de fréquenter certains lieux ils exerçaient leur pratique raciste ainsi. Ils étaient organisés et se déplaçaient en bande, se donnant rendez-vous ou devant la gendarmerie centrale de Fort de France à la rue qui s’appelait alors rue amiral de Gueydon ou devant la caserne de Desaix.
Ils se déplaçaient sur des vélomoteurs ou des petites motos rouge ou bleu, telles les « Beneli », sillonnaient les rues la nuit et notamment se postaient près de la Savane du coté du bord de mer, ils tournaient aussi aux abords des cinémas de la ville. Ils eurent l’occasion d’agresser des personnes sortant du cinéma. Un soir ils agressèrent des personnes sortant du cinéma « Olympia » près de la Savane, au bord de mer, rue de la liberté, sur la Levée. Certaines personnes ont été blessées ce qui suscita une forte réprobation et une riposte s’organisa chez des jeunes de Fort de France pour faire cesser ces agressions racistes qui étaient de plus en plus nombreuses.
Des jeunes de quartiers de Fort de France comme Bò Kannal, Terres Sainville, La Folie, se mirent en observation de ceux qui constituaient ces bandes qui se déplaçaient armés de chaines de vélos ou de matraques. Certains d’entre eux étaient au lycée Schœlcher, d’autres au séminaire collège, un ou deux à l’Institut Vizioz.
Le mercredi 12 juin vers 16h, à la rue Schœlcher au niveau de la rue Lamartine, un de ces racistes voyant une jeune martiniquaise avec le tricot l’a agressée, l’a molestée et a déchiré le vêtement, vociférant des propos racistes.
Des passants crient leur indignation ils s’en prennent à ce raciste et tentent de lui faire payer son arrogance mais l’individu trouve refuge dans un magasin de la rue Lamartine qui a rapidement baissé ses rideaux métalliques, situé à coté du Consulat des USA. La police vint le chercher et l’emmena dans un fourgon, les personnes présentes protestent vivement et injurient les forces de police.
Des personnes restent sur place et les commentaires vont bon train, souvent reviennent des propos rappelant les évènements de décembre 1959 encore présents dans toutes les mémoires, racontant des exemples d’actes racistes qui se multiplient. A la sortie des classes à 17h les élèves viennent grossir la foule, d’autant que le « pensionnat » est juste à côté (le lycée de Bellevue était en construction) et que c’est une jeune fille qui a été victime de cette agression. Les élèves notamment du lycée Schœlcher et du lycée technique affluent.
De plus en plus de personnes notamment des jeunes se rassemblent dans la cour du palais de justice, et les rues adjacentes. Les policiers venus en renfort se positionnent à la rue Schœlcher, à l’angle de Moreau de Jonnes (à l’époque Ernest Renan) où le nombre croit ainsi qu’à l’angle de Perrinon. Le préfet est venu sur place faire le point avec ses services, et est entré à l’intérieur du lycée de jeunes filles. Il y avait un policier en civil bien connu, originaire de Ducos qui faisait des photos des personnes présentes. Après le départ du préfet des policiers en tenue de combat arrivèrent pour dégager les rues. A leur tête le chef, un blanc, s’agitait fortement, faisant comprendre aux policiers qu’il fallait « nettoyer les lieux ». Peut être que pour lui ceux qui étaient là constituaient un tas d’immondices ? « Allez, faites dégager » répétait-il.
Dans un premier temps les policiers de manière progressive dégagèrent les rues proprement dites, les gens restant sur les trottoirs, et dans la cour du palais de Justice. Puis apparemment sur ordre du chef ils intervinrent de manière énergique. Tout le monde ou presque, se retrouva dans la cour du palais de justice au centre de laquelle se trouve la statue de Schœlcher.
L’information ayant circulé, ce sont des groupes notamment des jeunes qui constituaient la grande majorité des présents qui viennent exprimer leur réprobation.
Les forces de répression sont de plus en plus agressives, les manifestants de plus en plus nombreux crient de plus en plus fort «BLAN RASIS» « LIBERTE CHEZ NOUS » «LIBEREZ LES JEUNES» «PIEDS NOIRS DÉWÒ» «POLICE COMPLICE». Certains manifestants se rendent dans les 2 magasins de la rue Saint Louis qui vendaient ces tricots placés dans des bacs et commencèrent à les distribuer à la foule. Les propriétaires des magasins fermèrent leurs magasins et d’autres firent de même. La température monte dans le centre ville. Les policiers matraquent, chassent tous les groupes qui se forment et courent après les manifestants.
Le soleil se couchant les gardes mobiles, présents massivement dans notre pays peu après l’insurrection de décembre 1959, en remplacement des CRS, et basés à la caserne de Gerbault sont déployés tout d’abord du coté de la préfecture, de la Savane, jusqu’au niveau de la grande poste, contrôlant les rues permettent d’entrer au centre ville du coté de l’incident. Ils sont équipés de camions, d’engins de guerre, tanks, half-tracks. Puis ils prennent position près d’Air France et à l’entrée de la rue Victor Hugo ainsi que près de la bibliothèque Schœlcher et de la Préfecture. Ils ne tardent pas à lancer des grenades lacrymogènes et à procéder par vagues pour faire fuir les manifestants.
Les manifestants s’attaquent aux lieux largement fréquentés par les blancs, bars, snacks, ils se répandent dans presque toutes les rues. Les affrontements avec la des magasins sont cassés et dévalisés, des voitures et des bars sont incendiés, des locaux de la police ou de certaines administrations comme ceux du Conseil Général et de l’armée subissent des jets de pierres.
On entend souvent répéter qu’il faut faire comme en 1959. Qu’il faut amener des pierres et qu’il faut mettre le feu. Les affrontements ont duré jusqu’à tard dans la nuit. Les forces de répression ont quadrillé la ville complètement et des heurts ont eu lieu en périphérie du centre ville. Il y a eu de nombreux blessés.
De nombreux Martiniquais sont arrêtés, certains sont emprisonnés, des condamnations sont prononcées de manière arbitraire. Est-il nécessaire de préciser que les racistes qui sévissaient encore, n’ont pas été inquiétés et que comme d’habitude, l’impunité pour les forces de répression est garantie quels que soient les actes perpétrés par elles.
Le colonialisme est par nature raciste et violent, cela s’illustre dans toutes ses manifestations dans notre pays comme cette affaire des tricots et tant d’autres exactions restées sans suite. Il est de notre droit, de notre devoir de lui opposer la violence révolutionnaire émancipatrice.
Ce droit à l’insurrection conforme à la déclaration des droits de l’homme personne ne peut nous le contester.
Le colonialisme porte en lui le racisme et tous les crimes contre les peuples et la violation des droits humains.